Liberté. Ce mot, nous l'entendons chaque jour, sur les lèvres de tous, toutes générations confondues, des siècles présents ou passés. Des soldats se sont battus, des résistants se sont sacrifiés, des poètes ont été condamnés et des auteurs, censurés. Paul Eluard leur rend hommage, mais présente la Liberté comme une force sous-jacente. Omniprésente. Il suffit de l'écrire, de signer de son nom, pour retrouver sa force au temps de la Seconde Guerre mondiale. Une force présente en toute chose, si l'on prend la peine d'écrire son nom sur le moindre support. Admettre que la liberté couve chaque détail de notre vie et se rendre compte de ce que deviendra chacune de ces choses si la Liberté ne pouvait plus y être écrite.
"J'écris ton nom", une prise de position sur la liberté d'expression, où la plume n'est plus brimée, inarrêtable. Sur les ailes des oiseaux, le poète écris la liberté. Au delà des Enfers, sur les marches de la mort, le poète brave le danger pour marquer ce Palais brûlant de ce mot enchanté. Partout où les yeux s'arrêtent, coûte que coûte, marquer ce monde de mot essentiel, jusqu'au creux des volcans s'il le faut. Les phares écroulés, les maisons dévastées, sur la chair des amis, sur les portes : il faut clamer et écrire son nom pour marquer sa présence à jamais en France. Et vous, où souhaitez-vous inscrire son nom ?
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom
Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes maisons réunies
J'écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
- Paul Eluard, Poésie et vérité 1942 // Au rendez-vous allemand, 1942 , 1945
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