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La dystopie orwellienne 40 ans plus tard - de 1984 vers 2024

Photo du rédacteur: ZolnichkaZolnichka

L'ouvrage 1984 de George Orwell, publié en 1949, est une dystopie qui explore les thèmes du totalitarisme, de la surveillance de masse, de la manipulation de l'information et de la suppression de la liberté individuelle. À l'époque, il était une critique acerbe des régimes totalitaires, en particulier du stalinisme.


Anecdote : Orwell a inversé les derniers deux chiffres de l'année de publication de son livre. En effet, 1984 a été publié en 1949 (à une année près mais vous cernez l'idée...). Ce choix visait à créer une distance suffisante dans le futur pour rendre plausible la création d'une société totalement différente de celle d'après la Seconde Guerre mondiale. Cette technique a permis à Orwell de critiquer les tendances autoritaires et totalitaires dans un cadre futuriste palpable.


Exploration du regard orwellien


Sans prétendre apporter une réponse à l'éternel débat concernant la dissociation de l’œuvre et de son artiste, une brève contextualisation de l'auteur et journaliste britannique Eric Arthur Blair (c'est le vrai nom de George Orwell vous avez bien lu). Certains affirment que le choix d'un pseudonyme permettait de poursuivre une forme d'anticonformisme. La raison que je retiendrai sera que l'auteur préférait une couche de protection contre les répercussions négatives potentielles de ses écrits controversés. Une fois protégé par le nom à consonance britannique - George étant le patron de l'Angleterre et Orwell une rivière en Suffok - Eric pouvait se livrer librement à ses critiques politiques et sociales.


L'un des principaux fer de lance d'Orwell est son aversion pour le totalitarisme qu'il dénonce au travers de ses deux ouvrages les plus célèbres : 1984 donc et La Ferme des Animaux. Ce dernier est une critique virulente des régimes totalitaires et met en scène une allégorie de la révolution russe de 1917, premier pas vers la montée du stalinisme.

Pour en savoir plus sur la Ferme des Animaux

La Ferme des Animaux, version modernisée des fables moqueuses et moralisatrices de la Fontaine ou encore inspiration du Voyage de Chihiro de Miyasaki, cet ouvrage se caractérise par quatre grandes péripéties :

  • La Révolution : Le soulèvement des animaux contre Mr. Jones, le fermier humain, représente la Révolution russe de 1917, où les bolcheviks renversent le régime tsariste.

  • La Trahison des Idéaux Révolutionnaires : Après la révolution, les cochons commencent à prendre des privilèges et à se comporter comme les humains qu'ils ont renversés, symbolisant la trahison des idéaux communistes par les dirigeants soviétiques.

  • Le Culte de la Personnalité : Napoléon (le cochon en chef représentant Joseph Staline) établit un culte de la personnalité autour de lui-même, similaire à celui de Staline, en utilisant la propagande et en réécrivant l'histoire pour se présenter comme un leader infaillible.

  • Les Purges et les Procès Soviétiques : Les purges orchestrées par Napoléon, où des animaux sont faussement accusés de comploter avec Snowball (Léon Trotsky) et exécutés, font écho aux Grandes Purges de Staline dans les années 1930, où des milliers de personnes furent arrêtées, déportées ou exécutées.

  • Fin du livre et morale : La transformation finale des cochons en êtres indistinguables des humains représente la convergence des régimes totalitaires avec les systèmes qu'ils prétendaient remplacer. Cela montre comment les nouveaux dirigeants peuvent devenir aussi oppressifs et corrompus que ceux qu'ils ont renversés.


Héritages et parallèles de 1984 avec la réalité de 2024

Depuis la publication de 1984, les technologies de surveillance ont évolué de manière exponentielle. Orwell imaginait un monde où "Big Brother" surveillait les citoyens à travers des écrans de télévision bidirectionnels. Aujourd'hui, la réalité dépasse parfois la fiction : les smartphones, les caméras de surveillance omniprésentes, les réseaux sociaux et les mégadonnées permettent une surveillance et une collecte de données à une échelle qu' Orwell n'aurait peut-être pas pu concevoir. Les entreprises technologiques et les gouvernements peuvent désormais suivre les mouvements, les communications et même les pensées des individus grâce à l'analyse des données. Au vu de la twittosphère déchaînée, cet article ne nommera pas les entreprises ayant profité de l'introduction de cette nouvelle technologie et du plan vigipirate pour tracer sur plusieurs champs de caméras un même individu en intégrant l'IA (indice, le nom de l'entreprise commence par un A). Dans un sens, le RGPD européen nous a épargné (pour le moment) de ce "progrès". Pour d'autres "progrès", on notera la promiscuité suspecte entre l'application Pokemon Go et Microsoft, qui avait permis de diriger les utilisateurs sur des points d'intérêts Google Maps (un pokemon légendaire à proximité d'un McDonald's ou d'un Starbucks par exemple !). L'universitaire diplômée d'Harvard Soshana Zuboff s'était exprimée sur le sujet en abordant la stratégie déployée par les GAFAM (pour ne plus les citer) et d'influence des comportements dans cette interview : le capitalisme de la surveillance.


Dystopie orwelienne
Pokemon Go

Orwell décrivait également un monde où le langage et l'information étaient manipulés pour contrôler la pensée. Dans la société actuelle, la désinformation, les algorithmes de réseaux sociaux et les chambres d'écho médiatiques jouent un rôle similaire. La montée des deepfakes et des technologies de manipulation de l'image et du son représente une menace supplémentaire pour la vérité objective, mise en scène par une crise sanitaire largement surcotée pour les dégâts sanitaires, et largement sous-estimée pour ses dégâts économiques, sociaux et technologiques.

1984 permet d'explorer et pousser la réflexion sur ces nouvelles formes de manipulation notamment au travers du cas d'école Pokémon Go. 1984 et un tentinet d'esprit critique permettra au lecteur de comparer là où la fiction a retranscrit une réalité.


 

Si les régimes totalitaires utilisent encore la force brute, de nombreuses démocraties modernes recourent à des méthodes plus subtiles pour limiter les libertés : lois anti-terroristes, surveillance numérique, censure en ligne et manipulation psychologique, confinements justifiés puis finissant par devenir une aberration.


Les dynamiques politiques mondiales ont également changé. Si Orwell écrivait en réaction au stalinisme et au fascisme, le XXIe siècle est marqué par une montée du populisme, du nationalisme et de nouvelles formes d'autoritarisme, souvent attribuées à tord à des bords politiques jugés "extrêmes". Les inégalités économiques croissantes et les migrations de masse introduisent des défis supplémentaires absents de l'époque de Orwell. Une réécriture contemporaine pourrait intégrer ces enjeux pour offrir une critique plus actuelle des menaces à la liberté et à la démocratie.


La pertinence de 1984 de George Orwell reste indéniable, mais les évolutions technologiques, politiques et sociales du XXIe siècle ouvrent la porte à une réévaluation et à une mise à jour de son message. En explorant les nouvelles formes de surveillance, de manipulation de l'information et de suppression des libertés, une version moderne de 1984 pourrait offrir une critique incisive et contemporaine des menaces actuelles à la liberté et à la dignité humaine. En fin de compte, cela permettrait à l'œuvre de continuer à servir de mise en garde contre les dérives potentielles de nos sociétés modernes.


Dystopie orwellienne et actualité

Mise à jour de la dystopie orwelienne

Dans la continuité d'Orwell, plusieurs romans contemporains explorent des thèmes similaires et peuvent être jugés comme des successeurs spirituels :


Le Cercle raconte l'histoire d'une jeune femme qui rejoint une puissante entreprise technologique nommée Le Cercle, qui a pour mission d'améliorer la transparence et la connectivité dans le monde. Cependant, cette transparence vire rapidement au cauchemar lorsqu'il devient évident que la surveillance omniprésente et le contrôle des données personnelles par l'entreprise sont utilisés pour manipuler et contrôler les individus. Ce roman aborde des thèmes de surveillance de masse, de perte de vie privée et de contrôle social, rappelant fortement l'univers orwellien.


Dans Les Furtifs, Alain Damasio dépeint un futur proche où les villes sont devenues des espaces hyperconnectés et surveillés en permanence. Le roman explore la résistance à un système de surveillance omniprésent et à une société de contrôle où chaque mouvement des citoyens est traqué. Damasio, à travers une écriture inventive et poétique, interroge les conséquences de la technologie sur la liberté individuelle et la résistance contre un état autoritaire.


3. Black Mirror (série télévisée créée par Charlie Brooker, débutée en 2011)

Bien que ce ne soit pas un roman, la série Black Mirror mérite une mention spéciale pour son exploration dystopique des conséquences des technologies modernes sur la société. Chaque épisode présente une histoire distincte qui examine des thèmes tels que la surveillance, la manipulation de l'information, l'aliénation technologique et la perte de la vie privée, souvent avec une intensité et une acuité rappelant 1984.


4. The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood (1985, avec une adaptation télévisée en 2017)

Bien que ce roman soit plus ancien que les années 2020, son adaptation télévisée récente a revitalisé son message. The Handmaid's Tale explore un futur dystopique où un régime théocratique contrôle strictement les individus, en particulier les femmes, et utilise la surveillance et la répression pour maintenir le pouvoir. Les thèmes de contrôle totalitaire, de manipulation de l'information et de suppression des libertés sont très proches de ceux explorés dans 1984.


Chacune de ces œuvres explore à sa manière les thèmes orwelliens de surveillance, de contrôle social et de perte de liberté individuelle dans le contexte de la société contemporaine. Le Cercle de Dave Eggers, en particulier, est souvent cité comme une œuvre directement influencée par 1984 et reflétant les préoccupations modernes autour des géants de la technologie et de la surveillance numérique.


Le roman dystopique The Giver de Lois Lowry dresse un tableau peu ragoûtant dénonçant les mêmes phénomènes ou tendances socio-politiques avec une pointe de futurisme et de science fiction. Le message peut être transposé aux scénarios craints par nos contemporains sans pour autant attendre de telles conséquences dans un avenir proche (à part si le daltonisme permet de reconnaître son futur messie mais faut avoir la référence pour comprendre. Lire le livre ou voir l'adaptation serait un bon début ;)


Cas pratique : comparaison entre le fonctionnement du Parti et du Miniver de 1984 et de la CIA


Le roman 1984 de George Orwell et le fonctionnement de la CIA (Central Intelligence Agency) peuvent être comparés à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne la surveillance, la manipulation de l'information et le contrôle social. Pour en citer quelques un :


1. Surveillance de Masse

Dans le roman, la surveillance de masse est omniprésente. Le gouvernement, dirigé par le Parti, utilise des télécrans et des micros pour surveiller chaque mouvement et chaque mot des citoyens. Cette surveillance constante assure que toute dissidence est rapidement détectée et réprimée.

La CIA, en tant qu'agence de renseignement, participe à des activités de surveillance, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des États-Unis. Bien que la surveillance intérieure relève principalement de la NSA (National Security Agency), la CIA utilise diverses technologies et méthodes pour surveiller des personnes, des organisations et des gouvernements étrangers. Des programmes de surveillance de masse, comme ceux révélés par Edward Snowden, montrent que les agences de renseignement américaines ont des capacités de surveillance étendues qui peuvent rappeler les pratiques décrites dans 1984.


Dystopie orwellienne et actualité
Edward Snowden au forum mondial de Lisbonne

2. Manipulation de l'Information

Le Parti contrôle strictement l'information et utilise la propagande pour manipuler la perception de la réalité. Le ministère de la Vérité (Miniver) réécrit constamment l'histoire et modifie les faits pour correspondre à la version officielle du Parti.

La CIA a été impliquée dans des opérations de désinformation et de manipulation de l'information, en particulier pendant la Guerre froide. Par exemple, le programme Operation Mockingbird aurait impliqué la CIA dans l'infiltration de médias pour influencer l'opinion publique. Déployé dans les années 1950 et 1960, le programme a suivi plusieurs étapes, malheureusement transposables au fonctionnement de nos "démocraties" actuelles. En effet, la CIA a recruté des journalistes et des cadres de médias influents pour servir d'agents ou de collaborateurs. Ces journalistes, travaillant pour des publications prestigieuses telles que le New York Times, le Washington Post, Time Magazine et d'autres, recevaient des paiements ou des incitations pour publier des articles favorables à la politique américaine. L'agence a utilisé des journalistes pour diffuser de fausses informations ou des récits biaisés afin de manipuler l'opinion publique et de discréditer les ennemis des États-Unis. Cela incluait la fabrication de reportages et la propagation de désinformation.

En plus des médias américains, l'opération visait également les médias étrangers. La CIA a soutenu financièrement des publications étrangères et a placé des agents au sein de rédactions internationales pour influencer leur contenu.


L'Opération Mockingbird a été exposée par des journalistes d'investigation et lors des enquêtes du Congrès dans les années 1970, notamment par la Commission Church, qui a révélé de nombreux abus de pouvoir de la CIA et d'autres agences de renseignement.

Suite aux révélations, des réformes ont été mises en place pour augmenter la supervision et la réglementation des activités de la CIA.

La manipulation de l'information pour des objectifs stratégiques est une pratique qui trouve un écho dans les actions du Parti dans 1984.


Même si des réformes ont été appliquées concernant le fonctionnement de la CIA, l'histoire est amenée à se répéter.


3. Contrôle Social et Répression

Le Parti utilise la peur, la répression et la torture pour maintenir le contrôle social. Toute forme de dissidence est sévèrement punie, et les citoyens sont conditionnés à surveiller et à dénoncer leurs voisins.

La CIA a participé à des opérations de répression et à des actions controversées, telles que le soutien à des régimes autoritaires, les coups d'État et les opérations clandestines pour supprimer des mouvements dissidents. Par exemple, l'implication de la CIA dans le coup d'État au Chili en 1973 et dans d'autres opérations en Amérique latine durant la Guerre froide montre comment l'agence a utilisé des méthodes répressives pour atteindre ses objectifs politiques.

Dystopie orwellienne et actualité
Une du journal Sud-Ouest du 13 septembre 1973

4. Technologie et Innovation en Surveillance

Le Parti utilise des technologies avancées pour l'époque, comme les télécrans, pour surveiller les citoyens en permanence.

La CIA a été à la pointe de nombreuses innovations technologiques en matière de surveillance et de renseignement. Sans vouloir pointer uniquement l'Oncle Sam du doigt, on peut également applaudir les soviétiques pour leurs progrès et leurs exploits en Allemagne de l'Est. Le film "La vie des autres" est un très bon démonstateur des agissements de la Stasi dans une version légèrement romanisée. Si vous avez la chance d'aller de l'autre côté du mur en 2024, vous pourrez faire la visite d'une ancienne prison Stasi avec un guide passionné vous expliquant les différents stratagèmes d'interrogatoires, également mentionnés dans "La vie des Autres" (ça vous économisera le voyage).


Voici une liste de projets notables :

  • Drones et Avions Espions

Lockheed U-2 : Un avion de reconnaissance à haute altitude développé dans les années 1950 pour surveiller les activités militaires soviétiques. Il est capable de voler à des altitudes supérieures à 70 000 pieds pour éviter d'être détecté par les radars ennemis.


Lockheed A-12 OXCART : Un avion espion plus rapide et plus furtif que le U-2, capable de voler à des vitesses supersoniques et à des altitudes très élevées.


Drones de Surveillance : La CIA a joué un rôle dans le développement des drones de surveillance, comme le RQ-170 Sentinel, utilisé pour des missions de renseignement dans des zones hostiles.


  • Satellites Espions

Programme CORONA : Le premier programme de satellites espions, lancé dans les années 1960, permettant de prendre des photos de haute résolution de l'Union soviétique et d'autres régions d'intérêt.


KH-11 KENNAN : Un satellite espion avancé avec des capacités de télédétection optique et infrarouge, fournissant des images en temps quasi réel.


  • Techniques de cryptographie et de communication sécurisée

Crypto AG : Une société suisse dont les machines de cryptographie ont été secrètement manipulées par la CIA (et la BND allemande) pour espionner les communications de pays étrangers pendant la Guerre froide.


Techniques de Communication Clandestine : Développement de diverses méthodes pour communiquer en toute sécurité avec des agents sur le terrain, y compris des systèmes de communication chiffrés et des dispositifs de transmission miniaturisés.


  • Technologie de Surveillance et d'Ecoute

"The Great Seal Bug" : Un dispositif d'écoute passif dissimulé dans un sceau offert par l'Union soviétique à l'ambassade américaine à Moscou, permettant aux Soviétiques de capter des conversations pendant plusieurs années avant d'être découvert.


  • Cyberespionnage et Logiciels de Surveillance

Projet PRISM : Bien que principalement associé à la NSA, ce programme de surveillance permet aux agences de renseignement américaines d'accéder aux données des utilisateurs auprès de grandes entreprises technologiques, illustrant l'importance croissante du cyberespionnage.


  • Technologie de Biotechnologie et de Pharmacologie

Projet MKUltra : Un programme controversé de recherche en contrôle mental qui a exploré l'utilisation de drogues et d'autres techniques pour le conditionnement mental et le contrôle des comportements.



 

La fiction alimente une grande partie des histoires dystopiques et des critiques futuristes, néanmoins les conséquences d'une valse entre l'Homme et le pouvoir (que ce soit l'argent, la politique ou l'influence), est prévisible car elle nous a déjà fait souffrir dans cette vie ou une vie passée. Quels meilleurs témoins que les auteurs et les contemporains de nos ancêtres pour nous donner l'alerte face à des schémas qui se répètent...


Comme le disait l'illustre Gilbert Keith Chesterton (un peu d'ironie mais profitons de cette opportunité pour découvrir de nouveaux poètes et écrivains britanniques du XXe siècle) :

“La vérité doit forcément être plus étrange que la fiction car la fiction n'est qu'une création de l'esprit humain et, par conséquent, est à sa mesure.” - le Club des métiers bizarres 1905



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