Un poème très évocateur de la dualité, de la fission de la psyché ou encore d'un mal-être ambiant. Le poète et la muse vont de pair, comme le reflet colle au sujet et le pinceau à la main. La muse est le reflet d'une oeuvre, l'extension d'un artiste, tout comme le peintre n'est que le piètre traducteur d'une beauté subjective. Dans ce poème, Baudelaire revient dans cette dualité profonde, entre amour passionné pour cette muse parfaite, dont la beauté lui serait étrangère, abimée par la vie et la haine exacerbée pour son propre reflet. Le poète ne se détourne pas, fasciné par cette peine nouvelle et cette horreur manifeste. La muse du poème n'est que le cri du poète se levant au matin ou à la lumière d'une chandelle, s'exclamant devant l'image usée qu'il renvoie. Encore dans cette dualité, entre l'homme ou la femme, l'artiste ou la muse, Baudelaire ne manque pas d'hésiter entre la Lumière et l'Obscur, en confrontant Phoebus à Pan, le Dieu du Soleil face au Démon. La vie n'épargnera pas nos muses, et les poètes verront leur art dépérir à mesure que les muses se défraichissent ? Ou verrons-nous apparaître des cauchemars dans les yeux creux de nos beautés antiques ?
Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l'horreur, froides et taciturnes.
Le succube verdâtre et le rose lutin
T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,
T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes ?
Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,
Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.
- Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857
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