Qu'il est loin, le temps où nous écoutions les arbres danser et les fleurs chanter. Quand l'herbe poussait sans se soucier de son lot du lendemain. Quand la brise caressait nos cheveux et la pluie bénissait encore nos visages. Orphée nous reviendra-t-il et sa lyre se fera-t-elle de nouveau entendre dans ce champ vierge, où la musique n'est plus qu'une contrainte, une responsabilité et l'ordre ignoré d'une mère ?
Où se sont perdues les cordes ballottantes, quittant les rivages de la modernité. La poésie et le chant ne sont-ils plus que le refuge des insolents ?
Quand Orphée autrefois, frappé par les Bacchantes,
Près de l'Hèbre tomba, sur les vagues sanglantes
On vit longtemps encore sa lyre surnager.
Le fleuve au loin chantait sous le fardeau léger.
Le gai zéphyr s'émut; ses ailes amoureuses
Baisaient les cordes d'or, et les vagues heureuses
Comme pour l'arrêter, d'un effort doux et vain
S'empressaient à l'entour de l'instrument divin.
Les récifs, les îlots, le sable à son passage
S'est revêtu de fleurs, et cet âpre rivage
Voit soudain, pour toujours délivré des autans,
Au toucher de la lyre accourir le Printemps.
Ah ! que nous sommes loin de ces temps de merveilles !
Les ondes, les rochers, les vents n'ont plus d'oreilles,
Les coeurs même, les cœurs refusent de s'ouvrir,
Et la lyre en passant ne fait plus rien fleurir.
- Louise Ackermann, Premières Poésies, 1871
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