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Photo du rédacteurZolnichka

L'Agonie


Un poème en l'honneur de la musique - que nous célébrons aujourd'hui - de Sully Prudhomme. Celle qui nous suit et embellit. Celle qui accompagne et comprend la peine en soulignant les douleurs. La musique nous parle et nous écoute bien plus qu'elle ne semble nous donner. Comme une voix qui nous porte et qui veut avoir, dès le début, compris notre sort, la musique est une confidente bien plus qu'une éloquente.




Vous qui m’aiderez dans mon agonie, Ne me dites rien ; Faites que j’entende un peu d’harmonie, Et je mourrai bien. La musique apaise, enchante et délie Des choses d’en bas : Bercez ma douleur ; je vous en supplie, Ne lui parlez pas. Je suis las des mots, je suis las d’entendre Ce qui peut mentir ; J’aime mieux les sons qu’au lieu de comprendre Je n’ai qu’à sentir ; Une mélodie où l’âme se plonge Et qui, sans effort, Me fera passer du délire au songe, Du songe à la mort.

Vous qui m’aiderez dans mon agonie, Ne me dites rien. Pour allégement un peu d’harmonie Me fera grand bien. Vous irez chercher ma pauvre nourrice Qui mène un troupeau, Et vous lui direz que c’est mon caprice, Au bord du tombeau, D’entendre chanter tout bas, de sa bouche, Un air d’autrefois, Simple et monotone, un doux air qui touche Avec peu de voix. Vous la trouverez : les gens des chaumières Vivent très longtemps, Et je suis d’un monde où l’on ne vit guères Plusieurs fois vingt ans. Vous nous laisserez tous les deux ensemble : Nos cœurs s’uniront ; Elle chantera d’un accent qui tremble, La main sur mon front.

Lors elle sera peut-être la seule Qui m’aime toujours, Et je m’en irai dans son chant d’aïeule Vers mes premiers jours, Pour ne pas sentir, à ma dernière heure, Que mon cœur se fend, Pour ne plus penser, pour que l’homme meure Comme est né l’enfant. Vous qui m’aiderez dans mon agonie, Ne me dites rien ; Faites que j’entende un peu d’harmonie, Et je mourrai bien.


- Sully Prudhomme, Oeuvres de Sully Prudhomme, 1872

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