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Le reflet

J’étais encore jeune quand nous avons posé pour la première fois notre regard sur cette belle maison du XIXème. Mes parents étaient comme impressionnés ou abasourdis devant cette ancienne beauté qui se dressait au milieu d’arbres menaçants. Tout nous disait de reculer : l’ombre des feuillages sinistres sur les dalles, les cadavres de ce qui était autrefois des insectes butinant ces fleurs éteintes depuis longtemps. Je me souviens aussi de ce chat, noir et blanc comme indécis, posé sur les marches d’une grotte, qui évoquait le gîte d’un monstre mythologique, propre aux récits des grands héros de l’Antiquité. L’animal était là. Tapi dans l’ombre et tremblotant. Un liquide rouge coulait discrètement du coin de sa gueule. Il regardait le monde pour la dernière fois, et je ne reverrais plus jamais ses yeux, encore vivants, encore pétillants, encore espérants.


J’ai fais un tour de la propriété... une fois... deux fois... inlassablement, comme pour me convaincre que le parc à l’allure d’un jardin à l’anglaise s’arrêtait bien là où les limites fixées par des panneaux en bois bas de gamme étaient plantés. L’oppression et le sentiment d’être scrutée ne me quittaient pas. Le bruit dans les feuillages et dans les hautes herbes, me laissent croire que ces arbres grandioses suivaient mes pas, me jugeaient, décidaient de mon sort dans le sanctuaire que je venais de franchir. J’imaginais des visages sculptés dans leur écorce, tels des totems d’une religion encore inconnue. Des traits rigides et stricts, insensibles à la moindre négociation. Au loin, j’ai été interpellée par un ruisseau au courant faible qui aurait perdu sa force dans un précédent combat contre le temps, caché par des branches, par des feuilles qui s’empressent de tomber et par des pierres immobiles lorsqu’on les dévisage. Protégé du reste du monde comme on protège un enfant d’un ravisseur. C’était clair à présent, la nature, ce jardin ou encore cet ilot, gardaient ce qui restait de pureté. Sous les feuilles charnues coulait un liquide aux vertus presque magiques, mélange homogène de lucidité, de clarté et de perfection. L’eau, telle qu’on l’appelle chez nous, était dans ce jardin quelque chose de beaucoup plus mystique, comme une déesse, vénérée pour avoir été le berceau de la vie. Chérie par la Nature comme un diamant est adoré par un humain. Je me suis éloignée pour éviter à mes yeux d’en voir trop et ainsi de corrompre mes souvenirs. Je me suis alors dirigée vers la demeure.




Le jardin se situait dans une vallée, ce qui expliquait la cause de ce terrain incliné. De là où j’étais, la maison avait une allure terrifiante. La crête du toit semblait torturer les nuages en les griffant, les pinçant et en les coupants avec sa girouette rouillée et grinçante. Les corbeaux muets, subjugués ou apeurés par ce temple du silence, rodaient et volaient de leurs ailes assombries, autour du sanctuaire. Cela faisait déjà longtemps que ma famille s’était emprisonnée dans ce décor, c’est pour cela que je les ai rejoints. La nuit avait déjà eu le temps de poser son voile sur la propriété. J’explorais désormais ce qui serait mon foyer. Cette maison, que je qualifierais de charmeuse de serpents ou de marionnettiste, nous avait séduits avec sa lyre. Son architecture, son odeur, son histoire étaient à eux tous des pièges dans lesquelles plusieurs générations s’étaient fait prendre. Ce nouveau foyer puisait tout : l’eau de mon corps, mon énergie et ma joie mais aussi mon malheur. Epuisée et sans sentiments, j’étais désormais vulnérable à ses mirages. Des lueurs furtives me narguaient, comme pour me montrer à quel point j’étais seul face à leur puissance. Mes parents étaient leurs pantins, il manipulait mon esprit pour me garder piégée dans cette crypte. Les visions de cette ombre lumineuse ne me quittaient plus. Un songe des plus troublants a alors surgit lors d’un de mes sommeils. Je me suis retrouvée nez à nez avec elle. La maison semblait l’empêcher de rentrer par ses fenêtres qui ont déjà fait leur temps. C’est alors qu’elle a commencé à se projeter contre la vitre, causant un bruit sourd et ignoble. Mes pieds étaient pesants et comme figés au sol, pendant que la lumière terrifiante, au visage attirant aux premiers abords, se cognait et voulait entrer dans notre tombeau. Comme fait de cire, son minois se défigurait, fondait, coulait, grimaçait et criait et a laissé place au visage de l’horreur, de la souffrance et de la haine. Désormais le monstre qui était dehors s’agitait contre la vitre comme un oiseau à qui on a coupé une aile. Il a réussi à venir à bout de ma protection de verre, et a laissé entrer les centaines d’autres entités défigurées et gémissantes de l’extérieur. Je me suis réveillée en sursaut, la panique me hantait. J’avais trop peur d’ouvrir les yeux, restant ainsi dans le noir glaçant de ma chambre mais j’ai fini par me rendormir.


Le lendemain, je suis descendue pour entamer ma seconde journée dans cette demeure. J’étais seule, aucune trace de ma famille. La voiture était garée dans la rue, tout était normal. Je me suis alors rendue dans la chambre parentale... Une pierre et une branche étaient posées sur le lit, comme si on me présentait des excuses, un cadeau en échange d’un autre. Les véhicules bruyants et lumineux de la sécurité du monde des humains m’ont rejoint dans la maison qui n’était apparemment pas ou plus la mienne.


On m’emmenait loin d’elle et je me sentais soudainement remplie de nouveau, vitale, aimante et j’ai pleuré pour mes parents. Toute l’eau que cet endroit m’avais volé me la rendait pour souffrir au mieux de l’absence des gens que j’aimais le plus. Je ne savais pas ce qui s’était passé, mais j’étais convaincue que désormais, ils faisaient partie de ces arbres aux visages stricts ou plutôt tristes, et à ces pierres confrontées à la solitude pour vivre et se mouvoir.


Confrontés à protéger à perpétuité, celle qui les a emprisonné, l’âme qui les a enlevé.

Le gout de la beauté avant celle de la raison nous a perdus. L’eau nous appâté, le mal nous a ramassé.




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