Ce n’est pas une histoire très originale que vous vous apprêtez à lire. Non c’est plutôt une histoire particulièrement banale voire sans âme. Pourquoi continuer à la lire me demanderez-vous. Et bien rien ne vous empêche de partir. C’est là toute la magie de ce livre, il n’existe que par vous. Cette histoire, si vous êtes tentés de la découvrir, n’est réelle que grâce à vous. Que se passe-t-il si vous fermez votre livre là, tout de suite ? Allez-vous regretter ? Allez-vous être curieux ou au contraire passerez-vous vite à autre chose ?
Comment savoir si le contenu de ce livre est réellement l’histoire de ce fameux Comte ? Tant d’interrogations pour si peu de réponses... Ce jeune monsieur... non, ça va pas... comment l’imaginez-vous ? Comme c’est uniquement grâce à vous qu’il peut exister, ayez au moins l’amabilité de l’imaginer à ma place ! Oui mais si vous l’imaginez à ma place ça voudrait dire qu’il y a une quantité folle de comtes d’Easter Grimm et ça voudrait dire qu’il n’y aurait absolument aucune histoire sur lui...
Quel dilemme.
Laissez-moi commencer et dites-moi si c’est bien comme ça que vous l’auriez imaginé.
Le Comte avait cette particularité d’être un être indescriptible. Il était à la fois lunatique comme un loup solitaire mais pouvait également se montrer aussi sociable qu’un suricate. Quelle drôle de comparaison ! Un suricate et un Comte ! On ne parle pas d’un roi mais tout de même... Ce Comte vivait seul. Tantôt cette solitude se transformait en hypocrisie et il était alors entouré de toute la bonne population de sa ville. Ou bien ce n’est qu’une question de point de vue... Après tout, qui serions-nous pour juger avec notre seul regard la vie d’un homme ? Bon... Dans ce cas qui était-il ? Était-il solitaire mais avec le devoir, de par son rang, de se socialiser ou alors était-il très sociable mais, de par son rang, obligé de garder une distance avec le bas peuple ? Que de contradictions et pourtant, le comte existait bel et bien, avec une particularité unique, un seul trait de caractère. Lequel fallait-il alors choisir ? Évidemment qu’on aimerait choisir le caractère sociable car il nous serait bénéfique ! Mais un comte solitaire peut également être la source de nos rumeurs et dans ce cas il nous permettrait d’exister à travers lui.
La personne du Comte semble assez difficile à définir. Passons à autre chose. Son histoire ! C’est bien ça, on nous dit toujours que les historiens doivent être objectifs donc si je vous raconte son histoire, on va surement mettre la main sur une de ses nombreuses facettes. Par quoi commencer... Je sais qu’il est né en Bavière, pas très loin du lac Constance près d’une ville qui s’appelle Überlingen. J’y suis allée et c’est plutôt pittoresque par là-bas. Il m’emmenait souvent là-bas, on traversait la forêt noire en voiture tirée par des chevaux puis on changeait de véhicule pour une cabine complètement fermée qu’on était obligés de manier tout seuls. Quel affront ! Je ne comprenais pas pourquoi il acceptait une telle corvée, mais enfin, j’associait cela à son envie d’impressionner ou au contraire, à son envie d’être seul et d’être indépendant. Nous étions donc en Bavière, là où tout aurait commencé...
Il ne ressentait pas spécialement d’émotions, ou alors elles étaient profondément cachées à l’intérieur de sa carapace. Il aurait dû pourtant ressentir quelque chose de fort, de tumultueux mais il n’a rien laissé paraître. Quelle déception, j’aurais tant aimé figer une image des émotions du grand Easter Grimm dans le temps mais malheureusement il ne me laissait pas contrôler son image ni sa destinée. Peut-être était-ce sa force. Ne pas exister plutôt que de laisser les autres le faire exister. Au fond, j’y avais réfléchis toute la soirée. Pourquoi on existe si ce n’est que pour laisser transparaître des émotions qui au final ne nous sont même pas destinées ? La joie, c’est beau, mais à quoi bon être joyeux pour soi tout seul ? Et est-ce au moins possible d’être joyeux par soi tout seul ? Excusez-moi, je m’égare, c’est qu’il est tellement facile de s’y perdre parmi toutes ses contradictions terrestres... Non pas que je me considère comme supérieure, loin de là, mais vous êtes quand même sacrément perchés, vous les humains. Je suis humaine aussi, mais vous êtes quand même de sacrés numéros. Quand j’étais encore à votre niveau et que je ne connaissais pas encore le Comte, ma vie était comme la vôtre : questionnée mais pas forcément éclairée. Elle ne l’est toujours pas aujourd’hui mais disons qu’elle est... différente. Disons que de là ou je suis (je vous rassure, je ne suis pas morte, je suis au bien au chaud avec la présence sans prix du merveilleux Easter Grimm), je peux trier toutes vos questions une à une. Elles restent figées, dans une sorte de dimension non exploitée que personne ne peut voir. Elles sont en suspens attendant d’être gérées et prises en compte, comme des demandes quelconques de remboursement dans un supermarché ou n’importe quelle autre « procédure administrative » comme vous les appelez.
Oui il faut savoir que tout ce que vous dites reste FORCÉMENT quelque part. Il n’y a pas de « poubelle » d’idées ni de recyclage de parole. Elles sont forcément utilisées, exploitées et assimilées, sinon on serait inondés d’idées tout aussi folles les unes que les autres !
Le Comte d’Easter Grimm, si je dois essayer de le définir, c’est un peu celui qui est au centre de toutes ces idées. Le fil rouge de vos pensées. Même si vous ne pensez pas à lui directement, toutes vos idées convergent vers lui. Croyez-moi que j’ai essayé d’écrire une histoire qui ne parlait pas de lui, mais il a quand même réussit à faire sa petite entrée. Comment je le sais ? Comme on émet toujours des jugements sur ce qui nous entoure, le simple fait de « raconter » une histoire est une preuve de la présence d’Easter Grimm dans vos pensées. Easter Grimm c’est le fondement de l’existence. Il est partout parce qu’il est indéfinissable. Certains l’appelleront Dieu (à plus ou moins juste titre car Dieu est une image assez claire et définie que je serais incapable de vous procurer pour mon cher Easter), d’autres l’appelleront « moi » et d’autres encore « l’autre ». Tout dépend de vous à vrai dire mais comme tout le monde se dit ça, plus rien ne dépend de personne étant donné que seul l’autre a une quelconque utilité. Dans ce cas, nous ne servons strictement à rien puisque seul l’autre fait le travail. Que ce soit moi ou un autre, ce sera toujours l’autre qui primera. Easter Grimm avait bien compris ça, donc il a essayé de renverser la tendance. Il s’est complètement effacé volontairement. Il a cessé de se définir et de s’affirmer. Il a cessé de se démarquer. Il a arrêté de travailler. Il a arrêté de se reposer. Il arrêtait tout. On pourrait alors se dire qu’il n’avait aucune personnalité, aucune raison d’être. Pourtant, il avait plus de convictions que chacun d’entre vous car seule la démarche de ne plus vouloir exister (et je vous parle de la RÉELLE démarche de ne plus vouloir exister (pas mourir)) lui permettait de se procurer un but vital.,,,
Je suis en train de rire derrière mon cahier pendant que j’écris ça. Quels paradoxes ! D’un côté il ne faut pas exister pour avoir la plus belle existence, de l’autre on a un Comte qui recrache son identité pendant que d’autres l’envie. On s’y perd tellement.
J’ai à moitié fait exprès de faire une histoire incompréhensible, à vrai dire, j’ai laissé mes mains me guider au fil des lignes pour voir ou elles me mèneraient si je voulais être vraiment comme se Comte. Je vais peut-être trop vous faire intervenir en vous disant que j’ai écrit ces lignes en seulement quelques minutes et cette déclaration va surement gâcher votre escapade reflexionnelle mais je tenais à insister sur ce monde qui n’existe que là où rien d’autre n’existe. Le monde d’un vide complètement plein qui s’oppose à un monde fourni de vide et de superficialité. Oui je sais cela n’a peut-être aucun sens et j’ai beaucoup trop peur de me relire pour vous confirmer que ceci n’a réellement aucun sens mais voyez ce texte comme une expérience. Une tentative de voyager plus loin et différemment. Une approche différente au monde de l’imaginaire (s’il existe...). Je vais essayer de revenir avec un autre monde en poche, plus celui du vide mais celui du lointain, celui qu’on atteint et qu’on attend jamais. A voir, peut-être ne pourrais-je même pas le concevoir tellement il serait difficile à conceptualiser pour mon cerveau si primaire et si rempli d’informations inutiles.
Au final nous nous définissons tous par notre incapacité à imaginer et le pire dans cette incapacité, c’est qu’on a l’impression d’imaginer des choses qui sont déjà présentes dans notre esprit. Un perpétuel rebricolage et rafistolage du passé et du passé du futur et du futur du passé et du présent du néant et du...
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