Halte là, toi qui passe par ici. Connais-tu la belle histoire de Baudelaire ?
Je lui dois un petit peu tout, même si au fond, on ne lui attribue que la beauté d'un monde perçu comme obscur ou d'une existence insuffisante pour les beautés de la vie. On lui doit le Spleen, un mal-être profond, une mélancolie pure, qui ne sait pas si elle veut vivre ou si elle préférerait dépérir. Baudelaire, c'est la dualité avec le beau et le laid en synergie. C'est une vie et une mort complices mais destructrices, quand l'une empêche l'autre d'accomplir son tout mais sans qui l'autre ne serait qu'un concept abscons.
À vrai dire, je ne tiens pas nécessairement à refaire ici, la biographie de Baudelaire. Je l'apprécie et le respecte plus qu'aucun autre auteur, poète ou dramaturge. Il est la représentation même de ce que l'humanité peut offrir de plus contradictoire et de touchant.
Si je retiens Baudelaire parmi les autres, c'est avant tout pour les traits obsessionnels et compulsifs qu'on lui tient. Acheteur amateur de brocantes et animé par la beauté des choses, cette compulsion était surtout témoin du mal-être profond du poète et d'un manque manifeste à combler. Manque de quoi ? Posez-vous la même question. Si Baudelaire perdure aujourd'hui dans nos coeurs, c'est qu'il a su trouver les mots pour devenir le diplomate endetté et intemporel de la condition humaine. Un être qui veut acquérir une chose impalpable à tout prix, même si cela passe par la liquidation totale de l'héritage paternel (pas bien Charles..., pas bien du tout). Une acquisition aussi frustrante que l'oubli d'un rêve fait seulement dix minutes plus tôt. Au plus profond de nous, nous savons ce que nous voulons. Que ce soit notre peur ou notre envie de rester humain, cette chose convoitée ne restera qu'un idéal absolu, moteur de l'Homme qui lui empêchera l'impardonnable ou au contraire, précipitera sa fin.
Une envie de rester humain, car l'Homme sans douleur sera finalement exclu des siens tourmentés.
L'Homme heureux n'existe pas, et Baudelaire montre la voie à suivre, pour vivre avec et malgré ce lourd fardeau. La quête de l'Idéal n'est, pour les observateurs, qu'une quête précipitée vers la folie des grandeurs.
Un exemple du Spleen baudelairien :
Quand le ciel bas et lourd
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l’horizon embrassant tout le cercle II nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l’Espérance, comme une chauve-souris, S’en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D’une vaste prison imite les barreaux, Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir, Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire (1857 – réédition 1861)
La mort, l'obscurité, le désagrément et le mal-être omniprésents sonnent à l'unisson dans les esprits de chacun. Nous adoptons des comportements destructeurs et les idéaux ont toujours un complice dans le vice. Celui qui ne fume pas dépensera et consommera bien autrement. L'alcoolique sera irréprochable quand le fervent croyant ne verra pas ses torts.
Ce que j'aime chez Baudelaire, c'est sa conjugaison du monde, quand l'horrible s'accorde indéniablement avec le beau, sans jamais atteindre l'Idéal que nous y cherchions.
Un appel à l'empathie générale envers nous-même finalement.
Pour en revenir à MOI (quitte à parler de soi, autant forcer le trait... ça passera peut-être mieux), j'ai trouvé Baudelaire en essayant de trouver une figure ou personnalité à qui me comparer ou me raccrocher. Un caractère compatible avec qui je pourrais être en phase. Et je pense que quiconque lira Baudelaire saura aussi comprendre sa propre peine à travers les mots d'un autre. Je veux partager ce sentiment car cela peut sincèrement aider à se sentir moins seul !
Je me suis intéressée aux rappeurs, aux écrivains, chanteurs, mais tous semblaient tourner autour du pot. Je leur reprochais un manque de recul sur tout. Sur le "pourquoi" de cette colère ou tristesse qu'ils n'arrivaient jamais à identifier. De ce point de vue là, je trouve que Baudelaire a été le seul en mesure de sauter pieds joints dans cette flaque boueuse qu'est la vie. Il relève constamment des évidences concomitantes et parallèles. La flaque boueuse tâche et énerve le piéton, mais la Terre, le cheval, l'oiseau ou la feuille n'y voient ou n'y perçoivent que l'un des rouages d'un tout. Entre sentiment, raison et assimilation, la laideur du monde et la douleur d'un Homme ne pourraient être que les simples rouages d'un ensemble.
Mais l'Homme lui, simple rouage, crie et chante sa peine pour le temps que ce "Tout" lui accorde.
Promis mes prochains posts seront plus joyeux ! Mais le nom de ce blog ne vient pas de nulle part, et trouver Baudelaire m'a permis de déculpabiliser certains comportements obsessionnels, sur lesquels je reviendrai très prochainement !
Merci pour votre lecture, chers spleeneurs et spleeneuses, Pensez à prendre une pause, en savourant les petites acidités et aigreurs de la vie !
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