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La folie et la maladie, sorts divins ou péchés matérialisés ?

La maladie et la mort nous ont accompagnés depuis 2020. La schizophrénie prend forme dans le dilemme de la vaccination, la maladie mentale devient une tendance alimentée d'hashtag #neurodivergents #neurotypiques sur des plateformes de shoot de dopamine. Pendant le COVID, historiens, journalistes et éditorialistes se sont lancés dans la lourde comparaison avec la peste et les épidémies historiques afin de transformer une époque de vacuité en une ère historique de pacotille. Les jeunes, quant à eux, cessent d'exister par leurs actes et préfèrent exister par une version superficielle de leur être à coup d'autodiagnostics consensuels d'hyperactifs, de troublés de l'attention et de soi-disant hauts potentiels intellectuels. Pendant ce temps les étagères des libraires exposent des ouvrages toujours plus vides de sens et la médiocrité devient reine tant qu'elle arbore un sourire complaisant aux naïfs.


Nouveau Spleen propose une analyse de la folie et de la maladie dans la littérature pour un article feel good au retour des vacances ! (C'est cadeau)



 

Folie individuelle


Quand nous parlons de maladie et d'épidémie dans la littérature, nous arrivons très rapidement au titre de Camus : "La Peste". Mais parlons aussi de folie, de schizophrénie, ou d'handicap pour ce (petit) volet.


Dans l'ouvrage La Nausée de Jean-Paul Sartre, le discours à la première personne du singulier centre le récit autour de la folie du personnage. Un travail ardu mais possible uniquement dans la littérature, étant donné que la folie de Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum de Süskind a été parfaitement intraduisible à 'l'écran. Ce décalage, nous le devons à l'usage unique de la première personne dans les ouvrages, qui n'est pas séduisante dans les films, où nous voulons absolument assouvir notre curiosité, mettre un visage sur le fou. Or nous n'avons pas besoin de cette "externalisation" du personnage. L'histoire d'Antoine Roquentin dans La Nausée ou de J-B Grenouille gravite autour d'une folie, qui devient leur unique identité. La folie devient leur attribut, faisant complète abstraction de leur physique. La folie n'est donc traduisible que par une ambiance sémantique, un champ lexical et un vocabulaire précis, là où l'art visuel ne s'appuiera que sur des techniques de tournage, des choix d'ambiance visuelle et de scénario. Le film appelle à une vue extérieure, lorsque la littérature nous plonge dans la folie (dans ces cas de figure précis je le rappelle).


Ainsi, comment retranscrire à l'écran cette prise de conscience d'Antoine Roquentin "ce qu'il y a de curieux, c'est que je ne suis pas du tout disposé à me croire fou, je vois même avec évidence que je ne le suis pas : tous ces changements concernent les objets". Un point important qui pourrait même ravir les adeptes de jeux vidéo, plus particulièrement ceux ayant joué à "Layers of Fear". La folie ne se traduit que par le déséquilibre et le naufrage individuel. Les personnes environnantes font écho mais ne la perçoivent pas d'une manière suffisamment profonde et juste pour la transmettre aux spectateurs. La littérature et l'immersion des jeux vidéos vont de pair. L'image et l'explicite peuvent nuire à nos émotions et à notre conception de la folie, de sorte que les ouvrages sont les seuls et uniques enveloppes de la folie et de notre propre obscurité. Ils parlent à notre inconscient fou et déséquilibré, le "ça" de Freud. Comment remettre à l'écran cette formidable remise en question : "peut-être bien, après tout, que c'était ne petite crise de folie. Il n'y en a plus trace. Mes drôles de sentiments de l'autre semaine me semblent bien ridicules". Le dialogue dissonant entre différents stades de conscience ou de raison font de ces personnages les mythes de notre rationalité.



Couverture du jeu "Layers of Fear"

 

Le poids de la sanité d'esprit dans un monde de fous


Un autre exemple ? Très bien, parlons de Louis Pian dans La Pharisienne. Exemple intéressant puisque nous prenons le rôle de spectateur face à la folie de la belle-mère du personnage principal. Un procédé intéressant, car il met en valeur la mise en second plan de l'entourage d'un fou. Même si nous sommes cet entourage. Dans un livre écrit à la première personne, en prenant la place d'un schizophrène, notre vie gravite autour de la folie. Lorsqu'il s'agit d'un ouvrage à la première personne sur une personne extérieure, notre vie et perception, gravite autour de la folie d'une personne extérieure. Cette fois-ci, le profil et le parcours de Brigitte Pian permet d'opposer des modes de vie, un dilemme intérieur reniant ainsi la sagesse de la religieuse à l'instabilité "scrupuleuse" et animale, dérogeant à sa première nature : "elle ajouta à mi-voix, les dents serrées et avec une brusque violence : "Octavie... je vous demande un peu ! Toutes des chiennes..." lorsque l'instituteur de son beau fils entretenait une relation avec cette même Octavie. Les principes religieux et la confrontation à une situation précise, ici apparentée à la luxure, sont l'élément déclencheur, que nous voyons au travers de Louis Pian. Le naufrage violent d'un comportement religieux, en une sorte de pulsion violente alimentée par la religion, mais obnubilée par la rage et l'instabilité dénature sa conviction.


Le poids de cette solitude se ressent, plus subtilement, dans l'oeuvre d'Alexandre Griboïedov "Du malheur d'avoir de l'esprit" (lecture rapide que je recommande à chacun)


 

La contagiosité de la folie collective


L'ouvrage formidable de Teulé, Entrez dans la danse prenant place en 1518 lors de l'épidémie dansante à Strasbourg retranscrit une autre forme de folie. Une folie collective, joyeuse, inconsciente, bestiale, douloureuse mais pourtant si humaine par son affection inexpliquée à la musique ou au spectacle vivant. La bestialité se retrouve complètement dénaturée, en une sorte de pathologie humaine, où l'Homme danse à s'en faire saigner les pieds, à en mourir de faim et d'épuisement. Pour autant, l'ouvrage présente les danseurs comme heureux mais inexpressifs. Dans une période où les parents mangent leurs enfants, les excréments et où les animaux se sont transformés en carcasses rongées et dépouillées, ce n'est ni la peste ni l'intoxication qui ravagent, mais la danse. Comme une folie punitive, pour épargner l'Homme affamé et punir l'anthropophage. Pourtant il y a une histoire d'amour, celle d'un couple marié, où l'homme voit sa femme prise de cette transe qu'il ne comprend pas. Il la verra danser sans expression avant de devoir être évacuée à l'extérieur de la ville pour ne pas contaminer d'autres personnes. Il la suivra, compréhensif de cette folie, où l'homme mange ses enfants et où la folie paraît être le salut de Dieu, qui leur aurait interdit la simple mise à mort.

Les danseurs ne se feront pas tuer. Ils seront simplement évacués dans une ville dédiée, à l'extérieur de Strasbourg, là où se retrouvaient les malades de la lèpre et autres cas. Des catapultes leur envoyaient des provisions à distance. Face à cette folie collective, inexpliquées bien que déjà connue dans d'autres épisodes historiques, les habitants du village ne lutteront pas. Comme une manifestation pacifique de leur désespoir, les strasbourgeois "malades" danseront sans fin, se verront attribuer un espace adéquat pour danser et ne plus s'abimer physiquement sur les pavés de la ville. Les médecins accusaient un "sang chaud" mais au lieu de procéder à des saignées, les nobles et médecins les encourageaient avec de la musique sur la scène, espérant les épuiser ainsi et pour écarter la sentence divine, spirituelle ou astrologique du diagnostic. En vain. Teulé montre la contagion de cette folie, comme une vérité universelle silencieuse, contenue dans des pas incohérents, séduisant quiconque approuvait l'état de folie dans lequel se situait la population de Strasbourg.


Comme perturbés par l'altération des liens profonds comme l'amour, la dignité, l'amitié, l'honneur, les strasbourgeois perdent pied et voient la danse comme unique échappatoire. Sentiment que le réalisateur Jonathan Glazer a tenté de reproduire en faisant le lien avec l'épidémie de COVID-19 et du confinement. Comme la rupture du fonctionnement normal de l'Homme, la danse devient la réponse normée à la folie. Une comparaison peut-être hâtive, mais combien de temps l'Homme peut-il se dénaturer et forcer des comportements contraires à sa nature sans sombrer dans la folie et l'aliénation ?


La folie dansante, ou la dichotomie dans l'inconscient de Brigitte Pian nous sont-ils désormais familiers ?


"La vision de Tondal" de Jérôme Bosch

Pour conclure cet article, "La vision de Tondal" de Jérôme Bosch met en scène la vision d'un chavlier irlandais mourant. Guidé par un ange dans les fonds de l'Enfer, il est le spectateur impuissant des vices de sa vie mondaine. Au delà de la littérature, la peinture permet également d'ancrer le "ça" et le "surmoi" sur la toile. Jérôme Bosch, rattaché au mouvement des primitifs Flamands, présente des lichotomies châtoyantes faisant office de purgatoires tant pour l'artiste que pour le spectateur.


Quel est le sort des esprits lorsque la catharsis pénible acquise par l'art et l'effort est remplacée par le rire complaisant d'une médiocrité indulgente ?






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